Ces mois de ma vie seule, assise face à un écran.
Ce soir, j’aperçois par la fenêtre en face de moi, un croissant de lune qui brille comme un diamant.
Je fixe la lune, je me souviens… Jeune, si jeune je regardais la lune de mon balcon, au début de la nuit qui montait en moi.
Je fumais en cachette des cigarettes que j’avais trouvé à la maison, des cigarettes plus vieilles que moi. Je ne ressentais ni le froid, ni la peur. J’étais couverte de frissons. Je voyais la vie qui m’attendait, tranquillement, pour la grande fugue. Mes yeux n’étaient qu’un miroir, reflet de ces milles et unes étoiles dans le noir, de cet espoir enivrant de ces mille et une vies. À vivre !
Et cette attente de l’amour, c’était déjà l’amour !
Je me souviens de cette sensation de frissons sur moi, manteau fabuleux de reine qui glissait sur mes épaules d’une façon infinie de douceur.
Ce soir, mes yeux quittent la lumière bleue sinistre de mon écran, pour admirer cette même lune qui filtre par la fenêtre, parmi les sombres branchages. Tant d’écrans de fumée font obstacle entre elle et moi. Si lointaine, si hautaine à présent.
Qu’as-tu fais de tes rêves de balcon, jeune fille ?
Pourtant. Je me souviens. De ces amants étourdis par l’ivresse des premiers émois, des rendez-vous clandestins abrités par elle, maîtresse de cérémonie des secondes, les plus importantes à l’heure fatale, de toute nos vies. Poussières d’étoiles, infinitésimales…
Nous ne savons plus la regarder. Les frissons s’en sont allés, avec les secondes.
Je devrais, là, me lever, et la rejoindre. Marcher dans la nuit dans le froid dans le désert de la ville.
Je saurai peut-être à nouveau la regarder. Je saurai peut-être la rattraper, la fugue des frissons avec les secondes.
Nous souviendrons-nous ?
De ces journées, de cette année. Gardons tout en mémoire. Pour se souvenir qu’il fut ce temps où tous les lieux sacrés nous étaient interdits. Ce n’était pas la guerre, c’était la peur, pire la prudence. Avions-nous le choix ?
Nos âmes chassées des rues entre les murs. Chats errants dans un décor de cinéma, abandonnés.
Je cherche une fenêtre. Une lumière à travers elle. Des rires, des chants, des prières en toutes les langues. Peut-être si je m’évadais ce soir, trouverais-je au fond d’une rue, derrière un buisson ou un banc magiques une telle fenêtre vers un monde d’antan, un monde d’enfant, un royaume de peter pan. La vie, la vie toute la valeur de la vie, l’or des secondes dans cette lumière. Nous étions en choeur autour du feu. Pas d’écran. Des coeurs brûlants. À l’unisson. Peut-être un cinéma, oui, un théâtre, où les frissons glissent d’épaule en épaule.
Nous souviendrons-nous ?
Et saurons-nous à nouveau, regarder la lune au crépuscule du monde pour cueillir les secondes qui passent, comme les frissons, fugaces ?