Il fait gris, même dans cette petite ville du midi. D’habitude si gaie, en ce jour férié de confinement, elle est hantée par le silence, un silence fait de plomb, qui envahit toutes ses rues.
Parfois, un aboiement rompt le cri du silence. On s’y habitue.
Et moi, dans ce silence glaçant, dans ce monde invisible, anonyme, vous me trouverez perchée tout en haut d’une des maisons au hasard de la ville. Dans cette maison, je suis au dernier étage, dans un appartement, dans la cuisine, attablée.
Je vous écris sur cette table de la cuisine.
En face de moi, par la fenêtre, je vois mes voisins. Eux aussi sont nichés sur leur fenêtre de pierre. Qui d’autres que des oiseaux peuvent prétendre à être mes voisins ? À ma hauteur de vue !
Comme eux, je m’envole d’habitude par la fenêtre.
Mais aujourd’hui, je ne suis pas comme eux. Je ne peux pas m’envoler. D’habitude, oui, je m’envole par la lumière qui m’enveloppe de son halot miraculeux. Aujourd’hui la lumière s’est cachée parmi les nuages, elle aussi, peut-être effrayée par le cri du silence. Les fenêtres sont fermées de froid.
Aujourd’hui, je ne suis pas comme eux.
Les voici, je vous les présente, monsieur et madame (monsieur et monsieur, madame et madame), qui sait ? Le voici ce couple de pigeons qui se bécotent en longueur de journée, collé l’un à l’autre, les plumes réchauffent dans le froid.
Ils sont sans doute au paradis mes voisins, ce monde dans l’absence des humains doit être délicieux, blottis l’un contre l’autre.
Je ne suis pas comme eux, je suis seule et parfois, ces jours-ci, voilà, je me déplume.
Alors, quand les fenêtres sont fermées, je prends ma plume pour m’envoler.
Au moins, tenter.
Aujourd’hui, je ne suis pas comme eux. Si vous voulez tout savoir, voilà, c’est l’amour qui m’a ainsi déplumée. Pour être exacte, c’est l’absence de l’amour.
J’avais tout juste rencontré une hirondelle, belle et légère, nous avions pris notre envol très haut dans le ciel. Mais mon bel oiseau était migrateur, il est parti faire son nid dans un autre pays, ailleurs.
Jusque là, tout allait. Quand on est oiseau, on est migrateur, même si, au fond de nos envolées, nous rêvons bien d’un petit nid douillet.
Au détour du printemps, je devais, moi aussi m’envoler pour la rencontrer, dans son joli nid étranger.
Et puis, le destin a tourné comme le “vent mauvais”, ce couplet, vous le connaissez.
Nous avons été obligés – vous et moi – de partir nous cacher dans nos nids, fortunés ou de fortune.
Moi, je ne suis pas si mal tombée dans mon nid du midi haut perché.
Mais, mon hirondelle, elle, du reste, m’a désertée.
Voilà.
Croyez-moi, j’ai beau être un oiseau solitaire, ce silence en ce lundi m’est délétère.
Alors, au détour d’un beau printemps avorté, permettez-moi de prendre la dernière plume qu’il me reste pour m’envoler.
Et puis je me suis souvenue de Marguerite, qui, dans le silence assourdissant, m’a murmuré :
“Du moment qu’on est perdu et qu’on n’a donc plus rien à perdre, on écrit”.
“Écrire c’est hurler sans bruit”
Pour dire vrai, on hurle moi et ma plume.
J’ai même la sensation très vive, dans ma chair, que ma plume me fait mal, là, à hurler, comme une écharde plantée au corps du cœur.
Vous la connaissez, cette douleur. Celle, lancinante, dans le silence de l’absente.
Mais que voulez-vous, je ne peux pas l’arrêter. Il me faut la garder cette plume pour m’envoler !
Pour accompagner le cri du silence, j’ai écouté un chant russe, je l’ai même serré fort contre moi. Vous savez, le chant russe épouse à la perfection cette douce douleur, c’est la mélodie de la mélancolie.
Je l’ai sentie, elle, envahir tout mon sang, comme une étrangère, et le cri du silence monte jusqu’aux larmes. Avec mes yeux mouillés, j’ai regardé mes jolis oiseaux se bécoter.
Mais vous savez, et même si mes mains, là, sont glacées, cette plume de douleur dans le coeur je ne vais pas la laisser m’empoisonner.
Non. Cette épine est une épée.
De mon cri de guerrière, je vais m’envoler pour une odyssée solitaire. Et si au détour du Printemps, mon hirondelle ne revient jamais, moi j’aurai retrouvé – armée de ma plume-épée : mes pages, mes blanches et plus nobles contrées.