Rainer Maria Rilke! Puis-je vous interpeller ainsi ? Vous, la poésie personnifiée, ne pouvez pas ne pas savoir que votre nom à lui seul – est un poème. Rainer Maria, des sons qui évoquent église – enfance – chevalerie. Votre nom ne rime pas avec l’époque – il vient d’avant ou d’après – de toujours. Votre nom l’a voulu, et vous avez choisi votre nom.
Vous n’êtes pas mon poète le plus aimé, vous êtes un phénomène naturel qui ne peut être mien, que l’on ne peut aimer, seulement affronter; ou (encore insuffisant!), le cinquième élément personnifié : la poésie même, ou (encore insuffisant) cela dont naît la poésie et qui est plus grand qu’elle (vous).”
Marina Tsvétaeva à Rilke, le 09 mai 1926.
Rilke. Rainer Maria.
Moi,
Je suis de l’avis de Marina Tsvetaeva, ce nom là est déjà, à lui seul, un poème. Il évoque un autre monde, le règne d’un coeur pur et noble jouant les Élégies de la lyre d’Orphée, comme un envoûtement qui résonne à travers des siècles.
Rilke incarne la poésie, de toute sa vie, de toute son allure, de ses yeux bleus devins d’azur, de toute son oeuvre.
Le royaume de Rilke, un phare solitaire qui surplombe tous les naufrages, celui de la vieille Europe et de ses idéaux, de lui émane une lumière qui continue de briller comme un repère à tous ceux qui savent la voir, et s’y tenir, dans les ténèbres des temps.
En cette année 2020, pour affronter ce naufrage dans la tempête d’une pandémie mondiale, je me suis accrochée à cette lumière émanant du phare éternel.
Je me suis abreuvée à la source, les Lettres à un jeune poète que je garde toujours près de moi, même à mille lieux de là, les Élégies de Duino, les Sonnets à Orphée, éclats d’une même source de jouvence. Les lettres, j’en ai recopié des passages, à la main, comme des prières à réciter, des rosaires à égréner, dans l’obscur monastère qui nous est imposé.
Oui, je me suis abritée dans le temple Rilke, comme dans un instinct de survie.
Le poète prie nos âmes à l’unisson de trouver refuge dans le recueillement solitaire. Revenir à nos racines sacrées, recueillir les tristesses comme des fruits de providence, au plus proche de la vie, affronter la difficulté au lieu de la fuir, pour se transformer.
Se faire solitaire dans le recueillement, dans la difficulté, pour revenir à la vie, à la source de la vie, et faire humanité.
Notre phare est dans les nuits,.
La seule réponse est dans ce courage là, fait de recueillement, de silence, de solitude, de patience…
Tous ces idéaux anachroniques, dépassés, tant ils sont chassés par le vent de cette modernité. Vents contraires à notre humanité.
Tout dans ce vent est employé avec la force d’une rafale pour nous éloigner de la source de nos âmes, de tout ce qui n’est pas consommable, et qui pourtant, vaut tout l’or du monde.
Dans cette fuite en avant, nos âmes-phares sont dissoutes au large dans un naufrage de divertissements – mirages !
Zweig le disait déjà, encore et toujours :
“Les conditions nouvelles de notre existence, qui arrachent les hommes à tout recueillement et les jettent hors d’eux-mêmes dans une fureur meurtrière…” – Zweig.
Rilke, le poète, “vient d’avant ou d’après – de toujours. “ – Tsvetaeva
Alors, recueillis en soi et tournés vers notre humanité, abreuvons-nous de ses pages – de ses mots, passons le flambeau.
Voici quelques fragments, remparts épars, de lettres au jeune poète, recopiées religieusement de ma main idôlatre.
À lire, la correspondance sublime entre Marina Tsvetaeva et Rainer Maria Rilke :